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« Et un menu pour la cinq, un ! »

C’était au moins la centième fois depuis le matin que Charlie entendait cette phrase. Toujours & encore, sauf que cette fois ci, elle avait été prononcée d’une voix qu’il appréciait particulièrement. Le saloon, ce jour là, était bondé. Les beaux jours commençaient petit à petit à revenir sur San Francisco, et les gens avaient dû se donner le mot pour ne pas rester enfermés chez eux. Coincé derrière son piano de cuisine, Charlie, lui, allait à cent a l’heure, s’appliquant autant que l’on peut s’appliquer pour cuire un steak. Il attendait sa pause avec une impatience peu commune, pour lui qui, d’habitude, savait prendre le temps & attendre que les choses arrivent. La seule fois où il avait forcé le destin, était le jour ou il s’était mis avec Luka, et il ne le regrattait pas, mais il préférait toujours prendre les choses comme elles viennent, sans se soucier réellement des conséquences.

Ce jour là, cependant, il attendait impatiemment que sa pause arrive, car il avait enfin réussi à caser, depuis des semaines, un rendez-vous tranquille avec son amie la plus chère, celle qu’il appelait sa sœur de cœur : Houna Woodstock. La jeune fille s’était montrée adorable avec lui dès qu’il avait commencé à travailler au saloon, il y à environ un an de cela, et ils aimaient prendre leurs pauses ensemble, afin de discuter un peu, de tout et de rien, comme ils en avaient l’habitude. Il aimait leurs pauses, son rire cristallin à elle, et ses poses exagérées à lui, rendaient toujours leur duo plutôt comique, et comme ils ne s’éloignaient jamais du saloon en cas d’urgence, les nouveaux clients qui arrivaient et les apercevaient ensuite dans l’établissement ne manquaient jamais de leur faire remarquer qu’ils faisaient un drôle de numéro.

Ils n’en avaient cure, et étaient toujours revigorés et prêts à repartir à 200%, par ces pauses qu’ils affectionnaient tant. Elle s’’étaient malheureusement faites de plus en plus rares depuis quelques temps, du à une absence d’une partie du personnel, un cuistot & une serveuse partis en lune de miel. Leur temps de travail s’en était donc bu augmenter, et ils avaient à peine le temps d’avaler un demi-sandwich, alors pour ce qui était de faire les pitres… Mais, puisque les bonnes choses ne durent qu’un temps, les tourteraux étaient enfin revenus, et Charlie s’était empressé de proposer à Houna une nouvelle heure ensemble, bien méritée. La petite aiguille de l’horloge affichait deux heures moins cinq. Plus que cinq petites minutes. Cinq minutes, et le duo serait enfin réuni. Il s’accouda à son comptoir et héla la jeune fille, qui passait juste à ce moment là :

« Hé, fillette ! N’oublie-pas notre petit rendez-vous ! »

Spoiler:

J'étais au saloon, je devais avoir dit cent fois la même phrase dans la même matinée, j'avais l'habitude. Le sourire que j'affichais tout le temps, parce que faire la tronche c'est débile et ça fait fuir les clients. La rapidité qu'il fallait avoir, sinon vous finissez vite par être débordée et ça c'est pire qu'atroce. Personnellement, j'aimais bien mon métier ce n'était peut-être pas le meilleur métier du monde, mais j'aimais cela. Les gens étaient contents pour la plupart, certains avaient des têtes d'enterrement surement pour des bonnes raisons. D'autres étaient à deux, c'est-à-dire qu'ils s'embrassaient, se tenaient la main, ça me donnait envie d'aller me cacher dans les cuisines ce genre de truc. Pourquoi ? Parce que dés que je voyais des gens comme ça, je pensais à Ukrièl. J'aimerais bien qu'on soit comme ces gens-là. Se tenir la main, se faire des sourires sincères et heureux, s'embrassaient... Mais non. Je lui ferais trop de mal si lui et moi, on était ensemble. Ils souffriraient, le voir souffrir me ferait souffrir. On souffrirait tous les deux, on se détesterait et voilà comment l'histoire finirait. Mais je ne voulais pas que cela finisse comme cela, alors je l'évitais par peur de l'affronter, de faire face à mes sentiments. Quand je le croise, je fuis. Il m'en veut surement, mais ce n'est pas grave, il m'oubliera bien un jour. Je suis le genre de fille qu'on oublie facilement et simplement alors, tout ira bien pour lui, il n'a pas de soucis à se faire. Heureusement que le travail m'empêchait de penser à tout cela. Quoique parfois, cela ne marche pas vraiment bien et je pense à lui et j'ai envie de me taper la tête contre le mur. Je l'ai fait une fois, ça fait mal. Et le mieux qu'il y avait au travail, c'était Charlie. Il me faisait rire, on s'entendait bien et je l'adorais vraiment. Le voir rendait le fait de venir bosser, beaucoup plus agréable. Sa compagnie n'était jamais énervante, elle était agréable parce que Charlie n'était pas chiant. Il était drôle, gentil et attachant. Tout pour que les filles l'adorent. S'il n'était pas gay, il se serait surement déjà fait violer par la moitié des filles de la ville. Moi y compris. Hum, bref.

Je pris une commande, en disant la même chose à Charlie. Bah oui, c'est lui le cuisinier. Il fait super bien à manger d'ailleurs. Dans pas longtemps on aurait la pause d'une heure. Je la prenais tout le temps avec Charlie, on rigolait à chaque fois comme deux gamins. Je souriais toujours avec mon sourire qui m'avait déjà fait des crampes aux joues, crampe qui font très mal. M'enfin, là je n'en ai pas alors, tout va bien. Je continuais dans la même routine de travail. La routine que ne me rouillait pas. J'aimais mon travail, j'aimais bossé comme cela. Voir les gens me sourirent quand je leur amenés leurs repas, cette routine là était la meilleure routine qu'on peut avoir. Je passais à côté des cuisines alors que j'entendis la voix de Charlie : « Hé, fillette ! N’oublie-pas notre petit rendez-vous ! » me dit-il. Je me mis à rire. Ce surnom me faisait rire à chaque fois, ne cherchez pas à savoir pourquoi, les raisons stupides, ça me connait. « T'inquiètes papi, je n'oublie pas. » dis-je en rigolant. On était l'animation du saloon. Toujours à faire les idiots et à dire des conneries. Mais on était très fiers de cela. Bah oui, c'est bien d'avoir un ami sur qui comptait et qui nous fait oublier nos problèmes. J'aimais pouvoir oublier mes ennuis quand j'étais avec Charlie, ça me faisait plaisir. Dix minutes plus tard, j'étais dehors, assise sur le banc devant le saloon en train de fumer une cigarette. C'est lui qui était en retard de trente secondes. Je le vis venir vers moi. « T'es en retard ! » dis-je en souriant. Il posa ses fesses à côté de moi, je me tournais vers lui avec un grand sourire. On allait pouvoir commencer une longue discussion stupide sur les oiseaux qui volent dans le ciel... Ou pas, on passerait pour des trisomiques, quoiqu'on en serait capable, c'est sûr et certain, mais bon... Les clients auraient peur de nous après.

Lorsqu’il arriva au point de rendez-vous, Houna était déjà présente, en train de fumer. Elle ne prenait même pas la peine de souffler la fumée, elle la laissait s’échapper lascivment de ses lèvres. Charlie s’assit à ses côtés.

« T’es en retard ! » dit-elle, le sourire au lèvres.

Charlie jetta une œil à son portable. Le visage de Luka s’afficha en fond d’écran, et l’horloge digitale affichait une heure et une minute. Il se mit à rire, d’un rire contagieux qui attient bien vite sa camarade. Un couple de gens âgés qui passaient là les regardèrent, l’air de dire qu’ils étaient fous. Mais ça, les deux s’en foutaient royalement. Charlie fouilla dans la poche de son jean, et en sortit un paquet de cigarettes, des Lucky Strike, ses préférées. Il en pris une, scruta le paquet pendant quelques secondes, l’air à moitié désespéré –il était presque vide-, puis plaça la clope entre ses lèvres. Il attrapa un biquet dans le paquet, puis rangea ce dernier dans sa poche. En un seul geste, il alluma la cigarette, et en tira une longue taffe. Enfin !

« Mon dieu qu’est ce que c’est bon ».

Il était interdit de fumer dans le saloon, pour le bien-être des clients, une chose qui était plus qu’essentielle aux yeux de leur patron. Ceci était peut-être la raison de l’uniforme des vendeuses. Houna tentait toujours de le rendre plus cool, en replaçant par expemple la toque habituelle par un bandeau, ou les baskets informes par des santiags. C’est une des nombreuses choses que Charlie adorait chez elle. S’il n’était pas gay, il y’aurait eu fort à parier qu’il aurait succombé aux charmes de son adorable collègue. Il la regarda finir sa cigarette, tandis que lui en était à la moitié. Elle tenta de la lui prendre, ce qui se termina en bataille rangée, perchés sur les pierres devant le saloon. Ils riaient de bon cœur, et finirent dans les bras l’un de l’autre, revigorés. Ils en avaient oublié l’objet initial de leur bataille, et se rendirent compte, éffarés, qu’il ne leur restait que vingt-cinq minutes pour manger, ce qui était pour eux un dilemme.

Commença alors une course contre la montre, Charlie & Houna se ruèrent dans la cuisine, sous les yeux écarquillés des clients et des employés du saloon. Charlie décida, malgré le résultat de la dernière expérience, de se lancer dans des sandwich « Frigo Mix ». Il s’empara, dans l’immense réfrigérateur chromé, de jambon, de fromage à croque-monsieur, de cornichons, d’une dizaine de feuilles de salades et de moutarde. Houna le regarda avec inquiètude, mais il lui fiot signe de ne pas s’inquièter. Il empila le tout entre deux tranches de pain, tendit le tout à Houna, et réitéra l’opération pour lui. Pui il entraîna son acolyte dehors. Une fois de retour à leur point de départ, ils jettèrent un œil aux sandwichs, et se regardèrent, d’un air mêlé de défi et de peur.